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Le paysage, un nouveau bien commun ?

La sociologie communale comporte les habitants l’hiver, les « résidents » l’été, et la carte plus anonyme mais très prégnante des propriétaires du sol et des forêts. Le bien commun de l’ancien « village » morvandiau est mis à l’épreuve.
Natifs et « néos » (pour néo-ruraux) butent sur la même difficulté à agir sur l’espace qui les environne pour des raisons certes parfois différentes, mais le plus souvent communes. Les basculements de la propriété bâtie et forestière vers de nouveaux types de propriétaires provoquent parfois de vives tensions. Faute de pouvoir influencer, même à la marge, les pratiques de certains de ces grands opérateurs, le discours ambiant désigne souvent le nouveau propriétaire étranger. « Étranger » ou non, ce dernier est pourtant porteur, à sa façon, d’un projet local.
La nouvelle sociologie déstabilise les membres de l'ancien "village" où chacun a appris à composer entre une tradition de résistance teintée de méfiance et un sens inné de l'accueil et de l’entraide propres à tout pays de montagne. Ce sens de l’accueil reste une affaire de contact direct, d’individu à individu, et se renforce entre ceux qui font face à l’hiver au pays.
Le bien commun repose sur un pacte tacite entre petits propriétaires mitoyens, mais cette logique a son revers. Quand le foncier est vendu à un non-résident, un « étranger », le pacte est rompu. Comment rétablir un patrimoine commun, culturel, mais aussi foncier, dont la sauvegarde scelle un nouveau pacte social, dessine un nouveau bien commun dans le « paysage » local ? Quel pacte inventer qui scelle de nouvelles alliances entre ces catégories de population ?

« Ce qui est commun est ce qui nous manque à tous les deux » Massimo Cacciari, philosophe italien.
« Les truites et les écrevisses à pattes rouges reviendront-elles ? » Un retraité Morvandiau.
« Votre Atlas, ce sera une pierre au milieu du gué ? » Un agent de développement..

RENOUVELER LE SENTIMENT D’APPARTENANCE ?

L’histoire Morvandelle, réelle ou mythique, est ancrée dans les esprits. La présence palpable de ce « temps long » est un atout qui génère un sentiment d’appartenance que revendiquent d’ailleurs aussi bien des Morvandiaux de souche que des « néos ».
Ce sentiment, souvent très fort et très partagé, n’a rien d’immuable. Il s’élabore et se renouvelle constamment dans un va-et-vient entre l’individu et son environnement. Dans ce jeu, le paysage n’est qu’un élément parmi d’autres et l’appartenance sociologique est, de fait, de plus en plus déconnectée du territoire. Reste qu’un certain nombre de circonstances nous amènent à retisser des liens, des « racines », avec un coin de territoire.

Le paysage a des résonances profondes qui le rendent « proche » ou « lointain » selon la sensibilité de chacun. Ces sentiments d’attraction / répulsion pèsent lourd dans les choix de vie, les choix immobiliers, et donc à terme dans l’économie locale.
Au-delà des sensibilités individuelles, le paysage participe au sentiment d’appartenance dès lors que des valeurs fortes, positives, deviennent communément lisibles. Il peut s’agir de grands aménagements dont la belle facture suscite une fierté partagée, mais aussi de traces visuelles du passé. Leur lisibilité nécessite bien sûr un effort de réhabilitation concret : débroussailler, aménager les abords, tailler des branches, refaire une toiture, etc. Mais il s’agit tout autant d’un parti pris culturel : l’envie de les faire connaître, de les raconter.
Ce sentiment d’appartenance se régénère parfois dans des attitudes de résistance. Le sens de la formule est bien partagé en Morvan, par exemple lorsqu’il s’agit de dénoncer telle forme de commerce tapageur. Le Morvandiau est volontiers moqueur, et son humour participe à cette capacité de résistance. L’un comme l’autre présentent des risques mais aussi de grandes chances. Cette rudesse peut séduire, peut sceller des alliances mais elle ne facilite pas toujours l’accueil des arrivants. La moquerie devient attachante lorsque la moquerie envers l’étranger se retourne comme un miroir, lorsqu’elle se teinte d’autodérision.

« Le Morvan, c'est le far west. Ca a attiré une vague de néos dans les années 1970. Ce pays a toujours été à la fois peuplé et sauvage. » Un agent de développement.
« Le mélange est difficile entre les émigrés intellos et les paysans d’ici. Tous ces Hollandais aux cheveux verts, on n’est pas pareil ! » Un agriculteur.
« Ici il n’y a pas de culture de l’accueil touristique. Il arrive même qu’en entrant dans un hôtel, on dérange ! Les gens pas connus, on ne va pas au-devant d’eux. Il faut dire que le tourisme ici, on en parle plus qu’on en fait. L’activité reste faible. » Un technicien de développement.


Cette culture de la résistance n’encourage pas toujours l’adhésion à des projets ambitieux sur le territoire, ni la concertation lors des échanges fonciers.
Ceux qui veulent ouvrir de nouvelles pages, quant à eux, peuvent trouver pesant un regard « folkloriste » qui fait fi des évolutions actuelles du paysage et de ses « autochtones ».
« ici le remembrement il se fait tout seul . On passe une partie de sa vie à courtiser celui qui décidera de l’affectation des terres lors de la cessation.
Evidemment, ces attitudes, ça ne fait pas un projet de développement. Ca renforce l’attentisme, le fatalisme, ça gèle les situations. Et puis un jour, on en vient à fermer l’école parce qu’il n’y a plus que 3 paysans sur la commune… » Un agriculteur de l’ouest Morvan.

« Maintenant certains voudraient un Morvan développé, structuré, commercialisé. Ce sont des gens en costard cravate qui lui mettent des coups de fourche. Mais ici on se méfie des lettrés. » Un retraité morvandiau.
« Je suis né à Château Campagne. La séparation entre Château Ville et Château Campagne, c'est un cas unique en France, ça remonte à la révolution. La limite passe sur la RD. Vous verrez, la Ville a planté (côté est), Campagne a refusé. Ici on résiste à la communauté de communes, on est attaché à l'autonomie. Chacun veut absolument garder le pouvoir de dire oui ou non. » Un élu local.

« Les gens d'ici ont peur de se retrouver dans une réserve d'indiens.
On retrouve en partie le même débat entre haies plessées et haies broyées : les touristes voudraient nous imposer de vivre comme nos grand’parents. » Un éleveur.

IMPLIQUER LES NOUVEAUX PROPRIETAIRES ?

Ces nouveaux propriétaires ont, de fait, misé sur la pérennité de la qualité du paysage local pour les décennies à venir. Rares sont ceux qui cependant choisissent de voter dans le Morvan. Comment en faire des partenaires pour un projet de paysage local ?
Certaines personnes assument une fonction de lien entre nouveaux et anciens Morvandiaux. Il s’agit toujours de personnes bien établies localement ; il peut s’agir de « néos ».
« Il faudrait conseiller les étrangers qui achètent. Ils nous posent beaucoup de questions. On se retrouve souvent à les conseiller de par notre situation personnelle, mais il y a des choses qui pourraient être diffusées plus largement. » Un couple franco-hollandais entrepreneur en Morvan.

FAVORISER LES CONTACTS DE VOISINAGE ?

L’imbrication des propriétés multiplie le nombre des riverains : il n’est pas rare d’avoir 5, 8 voisins différents autour d’un lopin de terre. Cette promiscuité foncière fournit autant d’occasions de créer des liens, certes, mais aussi de nuire. Même s’il s’agit de cas isolés, le Morvan est riche en anecdotes sur le voisin qui vous veut du mal, à l’abri de ses prérogatives de propriétaire. Le voisin a toujours un moyen légal de vous nuire ; rien de plus légal par exemple, que de vous couper la vue en plantant une rangée de sapins « bien » placée.
Dans ces liens de voisinages complexes, un excès de règlements peut renforcer la méfiance et la dénonciation. Encourager la qualité de signature paysagère des innovateurs, promouvoir certains modèles d’aménagement paysager passe nécessairement par le contact de terrain, par un grand effort de pédagogie et de pragmatisme.
« Délivrer des avis sur des permis de construire, des couleurs de bâtiments, sans se déplacer, est parfois mal perçu : Il y a eu une affaire regrettable récemment à propos de la couleur d’un bâtiment agricole. Tout aurait pu se résoudre plus simplement par un contact direct sur place. »
notes de l’atelier sud Morvan, oct 2000

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