Panorama
LE BON ET LE MOINS BON
L’unité de sol homogène au cœur du Morvan, est très petite, souvent inférieure à un hectare : ici la dénomination des sols a gardé trace de l’ancien système de culture de subsistance, ce qui occasionne parfois des surprises. Beaucoup de prés bien verts s’appellent une « terre » : entendez ce qui était hier une bonne parcelle labourable. Tel champ de blé pourra s’appeler un « petit pré de pente » ou une « terre vague » : en général, c’est une d’ancienne lande à genêts. Celles dont le nom reste plus évident sont les « mouilles » pour les secteurs à jonc, même si l’usage de ces dernières a beaucoup changé depuis 1960.
Dans les secteurs les plus humides des prés de fond, les « mouilles », le paysan se bat contre l’extension du jonc.
Le bon et le moins bon se retrouvent en patchwork sur une même pente même si la tendance actuelle est de les regrouper en larges prés.
Cette mosaïque découle bien sûr du relief. Elle s’impose au paysan comme au paysagiste car elle conditionne à la fois les pentes, l’usage agricole, la couleur des prés, les aménagements, la forme des routes (rectilignes dans les fonds plats des cuvettes, courbes sur les flancs de colline).
Pour l’agriculteur et pour le propriétaire foncier, cette mosaïque de sols de différentes qualités correspond à autant de logiques de mise en valeur, mais qui sont liées par le sort.
« Les bonnes parcelles, on les reconnaît de loin à leur couleur en été : le pré est intensifié, il est bien vert parce qu’il est bien fertilisé, mais aussi parce qu’il a du fond, l’herbe a encore à boire. Ca se reconnaît aussi au fossé : il y pousse du grand rumex, et cette grande ombellifère, le « Panné » (grande berce ?). Quand on remue la terre, on voit bien ce qui vient. Quand c’est acide, sans fond, il ne vient que du genêt (il s’agit alors d’anciennes terres vagues). Là où c’est meilleur, on a de la fougère ». Un éleveur du nord Morvan.
« Un pré de pente pâturable coûte environ 12 000 -13 000 F (soit 1 800 à 2 000 €), parfois 15 000 F (soit 2 300 €) si la terre a du fond. C'est le cas des prés de fond ici. Un pré de pente séchant descend à 4 000 - 5 000 F (soit 610 à 760 €). Dans la valeur, on prend en compte la pente. Et le bon est toujours vendu avec du mauvais… » Un propriétaire du sud est.
LA MOSAÏQUE DU MORCELLEMENT FONCIER
Ce morcellement naturel se double d’un morcellement extrême de la propriété hérité de l’histoire locale avant 1914, du temps où famille engloutissait ses économies pour acquérir quelques carrés de terre dans les différentes parties du paysage ; il s’agissait alors de limiter les risques de mauvaise récolte.
Les échanges sont nombreux aujourd’hui pour reconstituer des unités de travail acceptables par rachat et, fréquemment, par échange de location. La mosaïque de sols empêche cependant de constituer de larges parcelles homogènes, d’autant qu’elle se combine avec la diversité des expositions, comme dans toute région de demi-montagne.
« Le remembrement, les propriétaires n’aiment pas ça ici. Les gens font traîner ». Un agriculteur.
« Ici ce sont souvent les propriétaires qui n’ont pas voulu du remembrement, même quand ils sont eux-mêmes exploitants. Ils restent attachés à l’héritage, « ce n’est pas leur truc ». Il faut reconnaître aussi qu’il n’y a rien à gagner …sauf une charge de travaux connexes qu’il est bien difficile de faire payer par le preneur.
Il faut dire qu’avec le terrain chahuté, les ruisseaux, même si on voulait faire un bel ensemble de 5 ha, on n’y arriverait pas. Il y aurait toujours une mouille mal placée.
Certains ont voulu absolument assainir. D’autres en prennent leur parti : « les anciens ont bien bossé avec ça, nous aussi on peut bien faire avec ! » Ce sont ceux-là qui sont soutenus maintenant par le parc, la Ddaf… » Un conseiller agricole.
« Le parcellaire est morcelé. Autrefois, ici, les gens voulaient avoir des terrains dans toutes les expositions ». Un agriculteur du sud Morvan.
« Ici, c’est une petite parcelle gérée en foin que l’agriculteur refuse de céder à son voisin. Avec qui, je tiens à le préciser, il s’entend bien par ailleurs.
Il arrive quand même que les parcelles soient regroupées. Regardez celle-là : on distingue encore très bien l’ancienne parcelle de mouille, qui se retrouve maintenant insérée dans un grand pré. C’est une ancienne petite parcelle dont les talus sont encore bien visibles. Autrefois, cette mouille était seulement fauchée.. » Un agriculteur.
LA PRAIRIE NATURELLE DES SOLS PROFONDS
Les prés de pente, sur les collines, se répartissent en prairies naturelles et en prairies temporaires. Toutes deux ont une valeur d’achat autour de 10 à 15 000 F/ha( 15 à 2200 €/ha.)
Les sols les plus profonds, autrefois labourés et cultivés en céréale et en pomme de terre, portent aujourd’hui des prairies naturelles qui ne sont labourées qu’exceptionnellement. Elles sont simplement chaulées tous les 2-3 ans (1 tonne/ha environ), et fertilisées. Leur pH naturel est autour de 4.
Le paysan dispose de plusieurs indicateurs pour repérer ces bonnes parcelles : la végétation n’est pas la même lorsqu’il nettoie les fossés ; l’herbe y est plus verte en été ; lors du labour, il ne remonte pas des cailloux comme sur les sols superficiels.
« Les prairies naturelles, je n'y touche jamais. J’y apporte de l’engrais de fonds modéré, type 8-20-20. Globalement, j'apporte 1 camion de chaux (30 t) tous les 2 ans, ou un peu plus, sur mes 70 ha ». Un éleveur du nord-ouest.
LE PRE DE PENTE SUR UNE PETITE TERRE
Les sols plus séchants, comportant moins de 30 cm de terre, portent des prairies temporaires : réduites à l’aspect de « paillassons » dès le début d’été, celles-ci se dégradent et nécessitent d’être renouvelées tous les 8 à 10 ans. Les vieilles pâtures reçoivent souvent du fumier. Elles sont alors « cassées » et font place à une rotation de céréales -avoine, maïs, orge-, et reçoivent alors du fumier avant d’être réimplantées en prairie. La coupure de la rotation par quelques années de céréales est précieuse pour fournir du grain et de la paille.
Le mélange semé comporte un mélange de Ray-grass, Dactyle, trèfle blanc, fléole, fétuques. Il s’appauvrit d’année en année sous l’effet des accidents climatiques.
On ne peut rien faire d’autre sur ces terres qui manquent de fonds. Sur les prés de pente, le rocher affleure, et on a des problèmes d’accès avec les machines.
On met de la fléole dans le mélange pour le cas où l’on aurait une série d’étés pluvieux: elle arrive alors à tenir quelques années. Un éleveur de l’ouest Morvan.
LA MOUILLE
Voir la composante "La mouille".
LE CHAMP DE MAÏS ET SES BARBELES
Sur les piedmonts et les franges du Morvan, souvent en haut des buttes, apparaissent des parcelles portant du maïs dans la rotation, mis en place par des éleveurs laitiers.
En été, ce maïs se repère de loin ; aux autres saisons, ces secteurs dénotent par l’absence de « bouchures », au profit de grandes parcelles sans clôtures, parfois cernées de barbelés.
« C’est le système « lait-maïs » ? Ça n’existe que dans les secteurs tournés vers l’Yonne, collectés par la laiterie de M ». un éleveur du nord Morvan.
« Ca entraîne la disparition des haies. Souvent, il n’y a plus de clôtures du tout, ou bien une solide clôture barbelée, à cause des problèmes de voisinage que cela entraîne. Les haies de bouchure, c’est fiable, mais les bêtes passent de temps en temps de l’autre côté. Entre éleveurs allaitants, on n’en fait pas une montagne, ça arrive. Mais si elles pénètrent dans un maïs, ça devient sérieux ; alors, on préfère mettre un bon barbelé ». un éleveur
« Le pré sous la route des Michaux est immense, avec des formes carrées qui résonnent avec les lisières de résineux au-dessus. Cela brise l’impression d’harmonie d’ensemble avec des courbes, des lignes tendues. Des prés comme ça on va en voir de plus en plus ». Un agent de la région.
LA PETITE PROPRIETE AGRICOLE
Le cœur du Morvan est historiquement un monde de petites exploitations, comme toutes les régions de moyenne montagne en France ; il n’est pas sûr qu’il le demeure car l’agrandissement des structures agricoles va bon train. Les nouveaux modèles d’élevage, plus extensifs, valorisent l’herbage ; même en centre Morvan, le troupeau d’un éleveur tourne couramment sur une surface de 80, 100 ha.
« La tradition a favorisé la constitution de petites propriétés qui furent durant de nombreuses années étroitement associées à l’exploitation agricole. Aujourd’hui encore, le régime de faire-valoir direct demeure profondément ancré à l’intérieur de l’agriculture Morvandelle.
Le tableau de répartition des exploitations en fonction des surfaces moyennes uti-lisées nous informe que plus du tiers des exploitations haut Morvandelles en 1988 étaient inférieures à 20 hectares contre plus de 40 % en 1979 et plus de 50 % en 1960 ».
Extrait de < Agriculture et population du Morvan >, Didier Verlynde, 1995.