Panorama
DES BATIMENTS IMPOSANTS QUI MARQUENT LES ENTREES DU MASSIF
Les domaines ne se découvrent parfois qu'au détour d'un chemin, signalés par un alignement d'arbres remarquable, un étang dont la digue est plantée d'arbres imposants, une perspective dans un bois.
Les châteaux et fermes qui les accompagnent présentent des caractéristiques architecturales et des sites d'implantation assez variés: site défensif comme celui de la Rochemillay dominant la vallée, domaine de plaisance tel le château du Jeu s'ouvrant largement sur son domaine agricole... Les châteaux et les domaines marquent le paysage des franges du Morvan et des grandes vallées qui servent de portes d’entrée au massif. Il est rare de pénétrer en Morvan sans passer devant un château ou un domaine, ou sans en apercevoir la silhouette imposante.
LA REPARTITION DES CHATEAUX DANS LE MORVAN
Marcel Vigreux a décrit la répartition des châteaux dans le Morvan. Ceux-ci sont absents au centre, où domine la petite propriété. Il identifie une zone intermédiaire où la vie locale est dominée par des nobles et des bourgeois: les franges nord, y compris le secteur de Brassy. Les franges de la moitié sud, enfin, rejoignent l'influence bourbonnaise. Dans ce « pays de château « typé, la vie locale est dominée par les nobles locaux; le métayage dominait récemment encore.
Dans beaucoup de secteurs, les paysans sont face à des hiérarchies souvent séculaires, aux notables détenteurs d’une très grande propriété, la plupart du temps nobiliaire: nous sommes au cœur de notre recherche. Nous avons observé que ces grands domaines côtoient les petites exploitations, les concurrencent, en superficie, un peu partout, mais qu’ils les dominent de plus en plus sur les bordures du Morvan et notamment sur les marges occidentales, jusqu’à les écraser dans la moitié Ouest du canton de Château-Chinon, et dans le Sud du Morvan, des cantons de Luzy, de Saint-Léger-sous-Beuvray, et dans les vallées du canton de Lucenay-l’Evêque, qui sont ouvertes sur la dépression d’Autun.
Une géographie des structures foncières se dessine, opposant d’une part montagne pauvre et vallées bordières plus riches, et d’autre part le Morvan du bassin de la Seine et celui du bassin de la Loire dans lequel les grandes propriétés nobles sont très développées. Une certaine corrélation s’établit, aussi, entre la carte des châteaux et celle des grands domaines, surtout dans les vallées et la partie méridionale du territoire.
Les relations entre paysans et notables sont évidemment différentes dans l’un et l’autre cas.
Dans le Morvan où domine la grande propriété souvent noble et d’une dimension parfois supérieure à la moyenne française, les paysans sont véritablement dépendants des nobles ou des bourgeois, perpétuant des seigneuries rurales au XIXe siècle: la majorité des paysans est composée ici de fermiers, de métayers (plus nombreux dans le Sud), d’ouvriers et de domestiques agricoles, très liés aux possibilités d’embauche. Ici, les démocraties rurales reculent.
À considérer les contrats, les baux entre propriétaires et locataires, il s’agit d’une société archaïque, dans laquelle les preneurs n’ont pas une condition très éloignée des tenanciers médiévaux. Malgré le temps, malgré la Révolution, la noblesse et la bourgeoisie rurales ont maintenu la dépendance de leurs “clients”: les notables du Morvan sont, ici, les héritiers des seigneurs de l’Ancien Régime, avec leurs cortèges de régisseurs, de surveillants et de gardes particuliers. Extraits de « Paysans et notables du Morvan au XIXe siècle jusqu’en 1914 », de Marcel Vigreux, 1998.
UN BOCAGE ARISTOCRATIQUE AUX MARGES SUD DU MORVAN
Le bocage du Centre et du Sud-Nivernais, celui des marges sud-ouest et sud du Morvan, celui de Puisaye semblent être des bocages aristocratiques, liés à la « réaction nobiliaire » des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, lorsque les seigneurs s’efforcent d’éliminer les petits propriétaires (tenanciers) censitaires et de reconstituer à leur profit de grands domaines qu’ils découpent, hormis les réserves forestières, en métairies. Nous savons avec certitude qu’une grande propriété nobiliaire avec formation de métairies et développement des enclosures s’est parfois substituée à une propriété paysanne faite de champs ouverts.~ ainsi sur la terre de Chassy, aux confins du Morvan et du Bazois. Le but des grands propriétaires était de se soustraire à la vaine pâture: « Qui bouche, il garde », écrit Guy Coquille, le célèbre « commentateur » de la Coutume de Nivernais au XVIème siècle.
Enfin, naturellement, d’autres haies ont accompagné la transformation des terres en prés, s’agissant de délimiter des parcs pour le gardiennage des animaux.
Histoire des bocages (extrait de « Nivernais-Morvan » C.Bonneton éditeur).
LES GRANDS DOMAINES DU SUD DU MORVAN
La mise en place du système d'élevage "charolais" (bœuf pour alimenter en viande le marché parisien ou le plus souvent veaux vendus pour être engraissés) dans la deuxième moitié du XIXe siècle doit beaucoup à une structure sociale très particulière et à la résistance d'un système foncier quasi seigneurial. Lors de l'établissement du premier cadastre, plus de 30 ans après la révolution française, le pays est toujours dominé par la grande propriété nobiliaire, présente dans tous les villages, manifeste dans le paysage par de nombreux châteaux: on en dénombre 41 dans le seul canton de Luzy.
Il n'est pas rare de voir alors trois ou quatre familles se partager l'essentiel du territoire communal. Le patrimoine de l'aristocratie, qui va de 200 à plus de 1000 ha, comprend presque toujours des bois de grandes taille et des terres. Autrefois sous le régime des fermiers généraux, elles ont été divisées en domaines, le plus souvent gardées en métairies (80 h) ou transformées en fermes (40à 50 ha), et toujours mises en régie.
Ce morcellement des domaines se poursuit jusqu'à la fin du siècle, associé à la création de nouveaux habitats, fermes d'écart ou petits hameaux.
À la noblesse d'origine locale, vient s'ajouter une noblesse nouvellement installée dans ces domaines réputés plus rentables qu'ailleurs, ainsi que des propriétaires bourgeois (notaires, médecins, avocats, juges de paix...) parmi lesquels certains régisseurs, qui ont fait fortune en prélevant plus que leur part sur le revenu des domaines. C'est dans leurs domaines, gérés sur le même modèle, que le système de production relativement extensif, déjà décrit, a été mis au point dans les métairies où vit une population nombreuse (le métayer, ses parents, ses enfants, plusieurs domestiques et servantes: la taille moyenne du "ménage" est de 8 individus), qui emploient des journaliers et qui se transmettent de père en fils; Mais surtout dans les fermes, dont le nombre progresse et qui, avec une équipe de travail encore plus réduite comportant encore quelques ouvriers agricoles, offrent plus de possibilité d'innovation en même temps que la mobilité y est plus grande. "Voyage en France par les pays de faible densité" C.N.R.S. 1985.